Henry Mintzberg, l'un des dix penseurs les plus
influents dans le monde des affaires, n'y va pas par quatre chemins.
Pour lui, les principales causes de la crise qui secoue le monde ne
résultent pas de facteurs économiques, mais de la façon dont les
Américains gèrent leurs entreprises depuis des années (les Etats-Unis
étant La Mecque du management). D'après lui, cette crise des entreprises
prendrait sa source dans une conception absurde de l'efficacité,
déterminée à coups de formules incantatoires et de fixations arbitraires
de seuils à dépasser ou non (augmenter le chiffre d'affaires de
10 %, etc.). Il n'empêche. Par ces temps de crise, les économistes,
banquiers et journalistes de tout poil font davantage entendre leurs
voix que les experts en management. Pourquoi ? « Parce qu'il est compliqué de parler d'une manière synthétique et intelligente de management », avance Michel Berry, chercheur en gestion à l'Ecole de Paris du management. « Il
y a une telle diversité dans la façon de bien gérer une entreprise !
Sauf à caricaturer les choses en deux ou trois formules, ce n'est pas
demain la veille que les experts en management se retrouveront, aux
heures de grande écoute, sur les plateaux de télévision. »
Résultat : les économistes (« conseillers des princes ») et les
financiers sont largement plus médiatisés que les spécialistes du
management. Les autres raisons ?
Discipline encore jeune
Un,
l'économie et la finance touchent plus directement le quotidien des
gens. Deux, l'une et l'autre de ces disciplines se mettent en modèle
mathématique et sont donc plus faciles à généraliser, voire à
mondialiser. Trois, « le Cercle des économistes n'a pas d'équivalent sur le terrain du management », relève Rodolphe Durant, professeur de stratégie et de politique d'entreprise à HEC Paris. « Le
management, qui relève de praticiens, est encore une discipline jeune
qui se structure. Elle n'a pas de paradigme établi, contrairement aux
sciences économiques. » Enfin, une grande partie du monde
académique, le nez dans ses recherches ésotériques, reste très
déconnectée du terrain. Ajoutons que si les économistes, agences de
notation, et financiers parlent davantage en ce moment, c'est aussi
parce qu' ils ont été les agents de la crise actuelle. « La responsabilité de la crise incombe en effet aux managers de ces institutions financières », acquiesce Didier Toussaint, consultant et docteur en philosophie. « Il ne s'agit pas d'une crise du capitalisme mais de son administration ! »
Pour Philippe Masson,
ancien du cabinet McKinsey et cofondateur de MyDevelopmentPro, il est
temps de revenir aux fondamentaux que cache la crise économique : les
questions relatives à la gouvernance des systèmes, des marchés, des
entreprises. « Les modèles économiques sont utiles mais on ne peut
plus s'en contenter. Ils sont pratiques comme des avatars, ils
autorisent certaines
expéri
mentations mais rappelons qu'ils ne correspondent en rien à la réalité. » Une bonne raison pour remettre le management sur l'avant-scène. « Mais cette discipline est, au mieux, considérée à part ; au pire, source de tous les maux », remarque Olivier Badot, doyen « Recherche » à l'ESCP Europe et professeur à l'université de Caen. « Elle est le plus souvent vue comme une machine qui ne participe pas au bonheur collectif ou bien qui risque de l'entraver », note Eric Gervet, managing partner chez ATKearney à Paris.
Pratique ou science ?
Le management, pratique ou bien science ? Le débat n'est toujours pas tranché, mais « la vie intellectuelle à son sujet est réelle, même restreinte à un cercle limité »,
observe André-Benoît de Jaegere, vice-président chez Capgemini
consulting et président du jury du prix Syntec-Conseil en management.
A
coups de publications d'articles, d'organisation de conférences (via
l'Ecole de Paris du management, l'Association du progrès du management,
les entretiens de Valpré, etc.), la discipline management s'installe peu
à peu dans les esprits. « Rares toutefois sont les ouvrages de la qualité de Stratégie océan bleu de Chan Kim et Renée Mauborgne »,
remarque Jerôme Couturier, professeur de stratégie et de management à
l'ESCP Europe, qui entend coécrire un livre sur le sujet en langage de
tous les jours. Le plus souvent, les ouvrages sont incompréhensibles ou
bien livrent des tuyaux navrants. « Cela fait beaucoup de mal aux dirigeants - notamment les DRH -de croire qu'il existe des recettes pour tout », assure Didier Toussaint.
« L'Ecole de Paris du management fait dialoguer des a cteurs du management avec des chercheurs. Cela débouche sur des histoires éclairantes »,
souligne Michel Berry en indiquant que le site Web de l'Ecole de Paris
du management fait l'objet de 250.000 téléchargements par an. Les
grandes écoles s'activent elles aussi, comme à HEC, où Rodolphe Durand a
créé le centre de recherche « Société et Organisations », un espace de
réflexion. Autant d'initiatives qui se heurtent toutefois à un fort
frein culturel, qui tend, en France, à cantonner le management et
l'univers de l'entreprise à un cercle de spécialistes.
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