La  consumérisation de l’IT :ce néologisme, tant il est largement employé  dernièrement, conduit à prendre un peu de recul sur l’évolution du  numérique dans nos sociétés et la façon dont cette dernière évolution  transforme les organisations, les systèmes d’information des entreprises  et pour finir les sociétés d’information.
Le terme lui-même induit une forme d’obstacle épistémologique, une  résistance à comprendre et à expliquer, dans la démarche intellectuelle,  le potentiel de transformation à l’œuvre, en renvoyant à l’économie de  marché, au rapport de consommation entre les produits et services du  numérique et les consommateurs de ces produits. Des technologies  informatiques devenues passe-partout, appréhendables et utilisées par  chacun, ou plus exactement, par le grand public, viennent concurrencer  de l’extérieur les technologies offertes par l’entreprise, laquelle ne  suit plus la cadence de l’évolution.
Du coup, pour ce qui est du poste de travail, des terminaux utilisés  (PC, mobiles, smartphone, etc.) et des outils de communication, on  trouve mieux ailleurs (derrière les murs ! … i.e, derrière le firewall)  et finalement, ce ne serait pas plus mal pour plus de productivité  individuelle à moindre coût de laisser les employées apporter leurs  propres équipements, télécharger et utiliser les solutions gratuites  d’inter-relations pour entrer en communication avec des experts du monde  entier, échanger avec leurs pairs, leurs partenaires, leurs clients.  Bon, avouons-le, à quelques réserves de sécurité près …
Est-ce cela l’évolution en question ? L’équipement des employés? La productivité individuelle ?
Au-delà de l’image, on reconnait également l’obstacle épistémologique  dans le fait de réduire le phénomène et l’expliquer à partir de son  utilité. La productivité des individus est une perception purement  utilitaire du phénomène de transformation à l’œuvre. Il y a d’autres  forces en jeu, d’autres ruptures, que la continuité de pensée avec les  modes de production industrielle du passé, avec les modes d’acquisition  et d’enseignement de la connaissance et avec les modèles d’organisation  sociale empêche non seulement d’être appréhendées mais de se développer  efficacement.
Industrialisation et modèle socio-économique
Industrialiser une production revient plus ou moins à pré-concevoir les  éléments en série et standardiser la production par des moyens  mécaniques. Le modèle accompagné de la technologie appropriée conduit à  la reproductibilité. Cela suppose aussi de disposer de manière  quasi-illimitée, pour la production de masse, des matériaux et  ressources utiles pour obtenir le produit fini.
Technologie, modèle et ressources (main d’œuvre aussi bien que composants) sont trois pièces indispensables du puzzle.
Gutenberg n’a pas à proprement parler inventé l’imprimerie mais son  usage de caractères d’imprimerie mobiles en métal  - des pièces qui ne  s’usaient pas contrairement aux anciennes pièces en bois – couplé à un  moule, une encre et une presse appropriés a conduit à une invention  technologique« révolutionnaire » en cela qu’elle pouvait changer la  société.
Selon Bachelard : « L’esprit scientifique est essentiellement une  rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance.  Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la  conscience de ses fautes historiques. »
Léonard De Vinci ne procédait pas autrement en observant les techniques existantes et en les rectifiant. Car « La pensée rationaliste ne commence pas. Elle rectifie. Elle régularise. Elle normalise ». A cela nous pouvons ajouter les réflexions d’Einstein sur la démarche scientifique, en particulier « il  est nécessaire (…) de se livrer sans relâche à une critique des  concepts fondamentaux si nous ne voulons pas, inconsciemment, être  gouvernés par eux. »
Il faut arriver à critiquer la culture élémentaire, la  connaissance élémentaire, les modèles, pour qu’il y ait progrès. Le  modèle porte à la fois sur la notion de « moule » de conception, mais  aussi celle de créativité. Il suppose d’imaginer un nouveau usage ou un  usage optimisé des ressources, grâce à la technologie, existante ou  nouvelle. Et ce n’est pas parce que la technologie existe qu’une société  est toujours en mesure de l’exploiter pour une réelle évolution. Des  modèles de société peuvent tout à la fois s’y opposer comme y adhérer.
La description que fait Peter Green, auteur du livre « d’Alexandre à  Actium » des limites de l’innovation et de l’industrialisation à  l’époque hellénistique et romaine pointe l’importance du contexte  socio-économique, aussi. Pour les grecs dont les intellectuels  méprisaient les activités utilitaires et mécaniques, concevoir un modèle  pour un usage optimisé des ressources n’était pas une source de  réflexions envisageable et ce fût une grande limite à leur capacité  d’innovation. Selon Peter Green « L'industrialisation, au sens que  nous donnons à ce terme, était minime : les fabriques ne dépassèrent  jamais le niveau de l'industrie artisanale, et la spécialisation était  rudimentaire. L'économie, fondamentalement, resta constamment agricole,  ses unités de production étant le paysan, le bœuf et l'âne ».La  reproduction de poteries en série (voire d’armes en série) existait  bien, mais elle n’atteignait pas à l’industrie à proprement parler car  il s’agissait davantage de recopier artisanalement un modèle que de le  dupliquer mécaniquement.
Certes, il pouvait y avoir une limitation de main d’œuvre, cette  dernière étant utilisée essentiellement pour l’agriculture  –indispensable à la substance et produisant davantage le minimum que du  superflu mais la raison principale, argumentée par Peter Green dans son  livre, était « qu’apparemment personne n’avait de raison valable d’essayer d’alléger le travail ou d’accroître la productivité ».  Ainsi les grecs possédaient tous les éléments constituants de la  machine à vapeur, connaissaient le vent, l’air chaud et la vapeur comme  sources potentielles d’énergie mais « l'absence d'évolution, dans le  domaine pourtant capital des sources d'énergie susceptibles de  remplacer la force musculaire humaine ou animale, tenait à des raisons  socio-économiques plus que technologiques. ». En d’autres termes,  l’absence de « progrès » de type industrialisation chez les grecs est  venu d’un obstacle épistémologique, un manque de motivation vis-à-vis  des questions de rendement.
Le  progrès naît dès lors quand l’innovation est en adéquation avec un  système organisationnel et technique. Un changement progressif vers une  idéologie technicienne et rationaliste, développée plus ou moins vite à  des moments phares de l’histoire, entre le 16e et le 18e  siècle, a accompagné le passage vers une société commerciale et  industrielle. De nombreuses innovations ont certes supporté  l’industrialisation du 19e siècle, mais elles poussaient sur un terreau socio-économique fertile.
L’obstacle épistémologique du modèle du « progrès industriel »
Une première phase des techniques d’industrialisation conduit à produire  toujours plus, à obtenir grâce à des énergies d’origine fossiles plus  de rendement à différents niveaux, en particulier, la mécanisation de  l'agriculture a permis d'accroître des gains de productivité libérant de  la main-d'œuvre pour d’autres activités. On rationalise le processus  productif, on recherche l’efficacité optimale. De nombreux cycles de  « destruction créatrices » au sens de Schumpeter, se sont ainsi succédé  durant le 19e et le 20e siècle, à côté  d’évolutions sociales et économiques, non sans crise et sans heurt. La  logique de rendement, de production de masse, a conduit également à la  société de consommation.  La production et la consommation de biens  n’étant plus liés à la seule subsistance, pour maintenir  artificiellement un système fondé sur les ventes et achats de produits,  il faut stimuler le désir d’acheter, au-delà de la seule satisfaction  des besoins.
On achètera en masse dès lors que le produit ne sera pas perçu comme  « de masse » mais adapté à un usage personnel, possible à personnaliser,  représentatif – peut-être – d’un clan auquel on souhaite appartenir.  C’est la signification qui est alors mise en avant (projetée pour ainsi  dire), davantage que l’utilité.
Toutefois la production de masse nécessite des ressources. Il y a eu une  première prise de conscience, après la pénurie d’après-guerre, qu’il  pouvait manquer des matériaux nobles. Il devenait utile de trouver des  solutions appropriées tout en continuant à satisfaire les fonctions  attendues des produits. Ceci a conduit à l’analyse de la valeur et à  introduire des composants parfois moins résistants. Tout simplement  parce qu’en optimisant les différentes qualités désirables, en  priorisant les fonctions du produit, la durabilité peut revêtir moins  d’importance que le prix ou la simplicité d’utilisation. Dès lors, des  équipements en évoluant deviennent moins résistants, tout en apportant  d’autres fonctions ou en étant moins chers. Le mythe de l’obsolescence  programmée devrait sans doute réfléchir à ce type de questions avant de  conclure sur des complots industriels. Autrement dit, ce n’est pas parce  que toutes les horloges ne donnent pas la même heure qu’il y a complot  des horlogers.
Cela étant dit, la durabilité est devenue ces dernières années, une  qualité de plus en plus indispensable, pas seulement selon le seul point  de vue de la satisfaction client. Les ressources naturelles sont  limitées et l’impact de l’industrie sur l’environnement, non seulement  évident, mais catastrophique. Le modèle de croissance économique  privilégiant une production suivie d’une consommation effrénée n’est  plus envisageable avec des ressources non renouvelables et pas plus dans  une conception de progrès avec un tronc éthique commun aux actions  humaines.
Dès lors, l’environnement socio-économique est prêt pour une rupture dans le modèle.
La technologie est également là, avec des cycles d’innovation plus  court, notamment dans le numérique. Une approche consumériste des  produits – au sens initial du terme, c’est-à-dire la tendance pour les  consommateurs à se réunir en mouvements ou en associations dans le  dessein de défendre leurs intérêts – est de plus en plus supportée par  la capacité individuelle à publier et diffuser de l’information au plus  grand nombre sur Internet.
La société de  l’information  peut faire d’une part partiellement  contrepoids à la société de consommation – en freinant l’usage abusif  des données personnelles, en apportant de la distanciation par rapport  aux illusions du marketing- et d’autre part faciliter un développement  durable en aidant à une meilleure gestion de l’énergie (ne serait-ce  qu’à travers le pilotage numérique des appareils électroménagers), des  transports ( visioconférence ou achats en ligne, par exemple), voire en  facilitant la réutilisation de produits par l’échange ou la revente  d’occasions en ligne. Des systèmes d’information permettent de mesurer,  d’analyser et de communiquer un ensemble d’indicateurs de  « développement durable » et d’améliorer les impacts environnementaux et  sociétaux des entreprises ou organisations.
Le passage de la vision consommateur à la vision client
Oui, mais …. L’information, c’est aussi un moyen pour cibler le  consommateur, prédire ses comportements d’achats, apprendre encore mieux  à toucher son désir de différenciation, produire l’illusion de l’unique  pour un produit tout en restant dans la consommation de masse.
De plus, les systèmes d’informations reposent sur des supports matériels  qui consomment une électricité non négligeable et la quantité de  déchets électriques et électroniques associée ne l’est pas d’avantage.  La multiplication de terminaux mobiles différents – avec peu de  standardisation des câbles associés – et les cycles d’innovation,  conduisent à de plus en plus de « jeter et remplacer » au niveau des  postes de travail. Tandis qu’au niveau des applications la dure leçon  des dernières années a été d’apprendre la réutilisation des composants,  que les data-center, le cloud computing, tendent à consolider l’usage  des serveurs physiques, n’assisterions nous pas au phénomène inverse  pour les terminaux ? Certes, que l’employé utilise son (ou ses)  terminaux personnels évitera qu’il les ait en double avec l’entreprise.
D’autre part, si les employés préfèrent leurs outils de travail  « personnel », leur équipement à ceux de l’entreprise, c’est bien parce  qu’ils répondent mieux à leurs besoins. Il ne s’agit pas ici d’un besoin  de productivité, pas au sens rendement que ce terme a dans un modèle  industriel. Il s’agit plus ou moins de confort intellectuel. Est-ce  superflu ? Si vous pensez que la créativité, la capacité à aborder un  problème, à faire preuve d’ingéniosité pour créer des solutions  innovantes, à avoir les moyens de chercher une information sur un  contexte (client, marché, ressource, technique, produit, méthode…) dans  toutes les sources disponibles sont superflues, c’est le cas. Tant que  le travail consiste à enchaîner des unités d’actions normées,  reproductibles et qu’il n’y a pas d’utilité à créer une intelligence  collective et à faire travailler ensemble des employés de culture –  technique, fonctionnelle ou organisationnelle – différente, laisser les  employés choisir leur équipement de communication est superflu.
Dans le cas contraire, il y a un besoin d’équipement adapté à une  logique d’accès rapide à l’information, d’échange et de partage, en tous  lieux et en toutes circonstances que les technologies actuelles rendent  disponibles. C’est l’agilité dans la mise à disposition et  l’exploitation d’information qui est en jeu, pas la productivité. Au  final, cette agilité peut apporter des bénéfices certains, peut-être  d’ailleurs avec moins de productivité sur certaines tâches et plus  d’efficacité sur d’autres.
S’il y a un besoin existant auquel un produit répond simplement, à un  coût jugé acceptable par les détenteurs de ce besoin, ces derniers ont  des chances de devenir rapidement clients de ces produits.
Clients à la place de consommateurs, la différence est de taille. Elle  porte sur le fait de subir une offre sans distanciation critique, sans  possibilité de faire jouer la concurrence, ou de réclamer que l’offre  s’adapte à des besoins réels, à un prix correct. Les employés d’une  entreprise sont aujourd’hui encore plus ou moins consommateurs des  postes de travail que leurs entreprises leur fournissent. C’est  l’héritage d’une démarche unilatérale, où les solutions étaient choisies  de manière centralisée – monarchique d’une certaine façon – démarche  compréhensible dès lors que la compétence sur les solutions n’est pas  partagée par tous. Mais quand les employés sont aussi matures que leur  service informatique quant aux types de terminaux qu’ils peuvent  utiliser et capables de les acheter à titre personnel, ce type de  démarche est forcément remis en question à un moment ou un autre.
De la même manière, on peut faire le parallèle avec certains services  métiers qui choisissent eux-mêmes une solution Saas pour leurs besoins.  Ils sont suffisamment matures et les solutions existent.  Avec les  offres Saas (Software as A Service) et Cloud Computing, la DSI est  attendue au tournant sur sa capacité à être réactive. Si l’organisation  et la logique des DSI ne changent pas, elles risquent fort de  disparaître au profit de solutions entièrement externalisées. Si les  technologies ont conduit à ce stade, le problème de développement de  nouveaux modèles n’est plus technique, il est organisationnel.
De la vision client à la prise en compte de toutes les parties prenantes
Dans tous les cas, l’équation est simple à énoncer, difficile à éviter.  Au niveau des systèmes d’information, ou la DSI est capable de trouver  des réponses efficaces et rapides en montrant une plus-value face aux  offres externes, ou non. C’est un challenge à relever où il faut que la  DSI s’inscrive en partenaire stratégique des autres directions de  l’entreprise, voire vis-à-vis de tous les employés et non en simple  fournisseur interne, ou « producteur » vis-à-vis de consommateurs non  éveillés. Pour cela il faut qu’elle arrive à instaurer le dialogue entre  tous les acteurs et à adapter ses propres processus, ne pas chercher à  savoir faire, mais savoir comprendre le besoin, choisir et gérer au  mieux la réponse.
C’est une démarche de client-fournisseur qu’il faut lancer, mais pas  seulement. Certes, l’écoute client est la clé des dernières années pour  le développement des solutions des SI. Cette écoute entre les  départements métiers et le service informatique doit se répandre :  écoute du client interne, écoute du client externe Le fait est que même  de puissants éditeurs d’ERP envisagent aujourd’hui de changer leur  modèle de développement en tablant sur la capacité de leurs propres  clubs utilisateurs à « voter » les futures extensions fonctionnelles et  aider à prioriser les roadmap produits.
On peut envisager le même type de vote au sein d’une entreprise pour  l’équipement des employés. Mais il ne faut pas oublier qu’à l’échelle de  l’entreprise (de même qu’à l’échelle d’une société), les décisions  doivent se faire en prenant en compte des contraintes diverses et le  pluralisme des points de vue pour disposer d’une vision plus complète de  l’organisation, de son contexte et des problèmes auxquels sont  confrontés les différents acteurs. La diversité n’est pas un obstacle  épistémologique, elle est au contraire la condition sine qua non pour  être capable de répondre à un système complexe.
En ce qui concerne l’équipement des employés, nous voyons bien que si  les choix d’outils peuvent être démocratiques, il reste la nécessité de  disposer d’un système de décision spécifique pour des questions de  sécurité (pour développer une plate-forme d’accès centralisée, pour  protéger les données sensibles, par ex) ou de cohérence (applications  accessibles, niveaux d’accès) et pour traiter de souci de développement  durable sur l’ensemble de la chaîne (limiter les déchets par de la  standardisation, par exemple, acheter uniquement auprès de fournisseurs  éco-responsables, etc.). L’entreprise doit garder le contrôle de ses  données numériques, de même qu’elle peut être aussi cliente et  prescriptrice de solutions respectueuses de l’environnement plutôt que  de laisser les équipements se multiplier sans contrôle et sans  possibilité de réutilisation.
Aujourd’hui les technologies nous permettent d’atteindre d’une certaine  manière à une hybridation de seconde génération entre l’industriel et  l’artisanal. Nous avons la capacité de séparer et recomposer, donner de  l’individualité au produit ou service numérique, tout en créant des  composants de base de « masse », réutilisables à grande échelle. Nous  avons aussi des capacités d’exploitation des données que nous n’avons  jamais eu jusqu’alors, tout en devant faire face à une explosion  monstrueuse des volumes et des dangers variés. Nous devons faire des  choix entre créativité et contrôle et ces choix ne sont pas faits car  nous n’avons pas mis les bons modèles de décision en face. Ce n’est pas  une question de technologie, c’est bien une question de gouvernance.
La nécessité d’allier créativité et contrôle
La technologie est mature. Si les ressources naturelles diminuent, nous  pouvons changer le modèle d’exploitation des ressources et limiter la  consommation effrénée à travers plus de réutilisation.
Nous sommes capables de gérer une meilleure utilisation des ressources  et une approche également plus éthique du rapport entre producteurs et  consommateurs, tout en gardant une certaine cohérence dans l’évolution  et les impacts « hors » entreprise, dans une approche environnemental  globale. La question n’est donc pas essentiellement technologique mais  socio-économique.
Si nous voulons un nouveau modèle dans la société d’information qui ne  réplique pas les erreurs du modèle industriel et du modèle de société de  consommation, ce n’est plus en termes de productivité, de producteurs,  de consommateurs, voire même de clients qu’il s’agit de réfléchir, mais  en termes de parties prenantes pour juger de la balance entre créativité  – «valeur ajoutée » et contrôle – c’est-à-dire limitation des impacts  indésirables.
Le producteur doit s’interroger sur la valeur-ajoutée de son produit  pour le client – ce dernier, plus mature ne va pas se contenter de  sirènes – le client n’étant plus un consommateur « passif », doit  également s’interroger sur son propre rapport à la consommation, les  conséquences pour également faire pression pour plus de standardisation,  moins de déchets, une logique « éthique » sur l’ensemble de la chaîne.
Dans le cadre d’un système d’information, nous devons interroger la  nature et la valeur de l’information qu’il convient d’exploiter et  comment, pour être en mesure d’adapter le modèle de l’entreprise non à  des contraintes de productivité, mais bien à des contraintes  d’efficacité dans la proposition de services et l’usage des ressources.  Que les employés soient en mesure d’influencer les choix stratégiques  est la nouvelle donne d’un modèle où toutes les parties prenantes ont  leur rôle à jouer dans la chaîne de valeur de l’entreprise. La  « consumérisation de l’IT » peut être vue comme un moyen de vendre des  équipements d’entreprise directement au consommateur final, ou comme une  manifestation visible de l’évolution vers une société de l’information  capable de réorganiser les pouvoirs de décision à tous les niveaux.
Ainsi la consumérisation de l’IT n’est pas une simple question de  productivité. Elle est seulement, à l’échelle du choix des équipement  individuels, le reflet de nouveaux systèmes de décision à mettre en  place au niveau de l’entreprise avec les bonnes parties prenantes, pour  aller vers une chaîne de valeur plus respectueuse des différents acteurs  et pour allier créativité et contrôle.
L’esprit numérique
Ainsi que l’esprit des lumières souhaitait rompre avec l’obscurantisme  intellectuel des années, voire des siècles précédents, et pousser les  individus à penser par eux-mêmes, l’esprit numérique pourrait être une  évolution dans l’exploitation d’une intelligence collective.
La capacité d’innovation en ce domaine serait dès lors liée à des  modèles pluriels de gouvernance. Une entreprise n’aurait pas un modèle  hiérarchique de décision adapté à toutes les situations mais une  pluralité de systèmes de décisions selon à la fois les parties prenantes  et la nature des décisions à prendre. La multiplicité et l’efficacité  de ces systèmes de décision est rendue possible par les technologies de  l’information, qui permettent à la fois d’accéder aux informations  nécessaires à la prise de décisions et de partager ces informations de  façon appropriée, donc de créer des systèmes de décision plus souples  que par le passé.
Selon le cas, suivant que le système de décision tende à favoriser la  créativité ou vise à renforcer le contrôle, les modèles types de  gouvernance diffèreront. On peut les voir à la semblance d’archétypes  politique comme le développe Peter Weill, c’est-à-dire monarchique au  sens entièrement centralisé, féodal au sens dispersé dans des filiales  autonomes, fédéralisé au sens qu’une partie des décisions est assurée  par un système central et le reste par des divisions autonomes, etc. Les  capacités d’écoute, d’adaptation et de décision de l’entreprise  dépendent clairement de ces systèmes de décisions et de qui doit y  collaborer. Selon Montesquieu la « liberté d’un peuple consiste à être  gouverné par des lois et savoir que ces lois ne seront pas  arbitraires », les lois sont nécessaires, mais encore faut-il se  rappeler que << Les lois inutiles affaiblissent les  nécessaires. >>. Il est donc indispensable de s’assurer que ce  sont bien les parties prenantes qui ont un intérêt légitime dans la  stratégie à mettre en place qui seront sollicitées et responsabilisées.
Il faudra pour les mettre en place identifier la finalité de chaque  système, les inter-relations et compte tenu de la complexité de ces  dernières, c’est une approche systémique qui doit prévaloir aujourd’hui,  plutôt que l’approche cartésienne qui, si elle s’applique bien aux  domaines compliqués nécessitant de l’expertise, s’applique mal aux  domaines complexes. Or jusqu’à présent, dans l’ensemble des référentiels  et des meilleures pratiques développés dans le domaine des systèmes  d’information, c’est l’approche cartésienne qui domine.
L’obstacle épistémologique face au potentiel de la société de  l’information est à minima de deux natures. Il faut quitter un point de  vue modelé par une vision de « l’industrialisation » comme l’ultime  progrès et l’approche cartésienne comme une solution à tout. Sinon, à  regarder les évolutions du numériques sous le modèle industriel  (utiliser de nouvelles techniques et ressources pour plus de  productivité) et à oublier la complexité des inter-relations entre les  enjeux de toutes les parties prenantes, l’esprit numérique ne sera qu’un  oxymore et la consumérisation de l’IT, un argument marketing.
http://www.infodsi.com/tribune/123657/esprit-numerique-sabine-bohnke-fondatrice-cabinet-sapientis.html?key=
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