A lire sur: http://www.tnova.fr/note/linnovation-en-france-un-syst-me-en-chec
Le 01/06/2012 La France ne produit plus de grandes entreprises innovantes depuis 40 ans. Restée à l'écart de l'émergence des nouvelles générations de hautes technologies, elle est aujourd'hui en retrait d'une part importante de l'innovation contemporaine, processus qui reste essentiel dans le développement et la croissance. Cette note, appuyée sur un rapport détaillé, dresse le constat de l'échec du système français, et met en évidence l'importance du développement à long terme d'un "écosystème innovant", impossible à fabriquer de toutes pièces, mais dont les conditions d'émergence peuvent être créées par une nouvelle politique de l'innovation touchant à la fois l'enseignement supérieur et la recherche, le financement de l'innovation, le cadre fiscal et juridique, les politiques de clusters et de pôles de compétitivité.
Le 01/06/2012 La France ne produit plus de grandes entreprises innovantes depuis 40 ans. Restée à l'écart de l'émergence des nouvelles générations de hautes technologies, elle est aujourd'hui en retrait d'une part importante de l'innovation contemporaine, processus qui reste essentiel dans le développement et la croissance. Cette note, appuyée sur un rapport détaillé, dresse le constat de l'échec du système français, et met en évidence l'importance du développement à long terme d'un "écosystème innovant", impossible à fabriquer de toutes pièces, mais dont les conditions d'émergence peuvent être créées par une nouvelle politique de l'innovation touchant à la fois l'enseignement supérieur et la recherche, le financement de l'innovation, le cadre fiscal et juridique, les politiques de clusters et de pôles de compétitivité.
Synthèse
Le constat
La France a pris un retard considérable depuis une quarantaine
d’années sur les sujets liés à l’innovation. Le pays a en particulier
manqué l’émergence puis « l’explosion » des nouvelles générations de
hautes technologies. Les indicateurs
macro-économiques traditionnels confirmant cette tendance sont nombreux
mais insuffisants pour permettre d’identifier les causes structurelles
de ce retard. La présente note s’attache à examiner les données
micro-économiques liées à l’innovation, tant au niveau des entreprises
que de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’ensemble des
institutions engagées dans le système innovant. Cette analyse est suivie
d’un ensemble de recommandations.
Une étude comparée des grandes entreprises innovantes sur
trois pays (France, Allemagne, Etats-Unis) montre que la France ne
produit plus de grandes entreprises innovantes depuis 40 ans, au
contraire notamment des Etats-Unis qui sont désormais à l’origine de la
quasi-totalité des grandes sociétés innovantes du monde occidental dans
le secteur High Tech. Leurs caractéristiques essentielles (jeunesse des
sociétés, intensité en R&D, concentration aux Etats-Unis,
capitalisation boursière de ces entreprises 100 fois supérieure aux
Etats-Unis par rapport à la France…) démontrent certains des points
faibles de la France.
Parallèlement, l’analyse de l’enseignement supérieur et de la recherche
montre que le système d’enseignement supérieur français est lui aussi
dans une situation très difficile. Il parait inadapté, pauvre, fragmenté
et surtout isolé, ce qui le rend très difficilement apte à jouer son
rôle dans une économie dominée par la concurrence internationale des
systèmes innovants :
- Ses établissements, les
universités en particulier, en deçà du seuil critique par leur taille et
leurs ressources, ne sont pas reconnus sur le plan international.
- Les moyens financiers déployés
par le pays (fonds d’origine privée et publique) pour ses étudiants du
supérieur sont 2,5 fois plus faibles qu’aux Etats-Unis. Par ailleurs, la
capacité d’investissement des universités américaines est considérable
en comparaison, notamment au travers de leurs « endowments » et
fondations.
La notion de « système innovant »
L’innovation étant un processus à la fois collaboratif et
stochastique, elle doit s’inscrire dans le temps et permettre
l’émergence d’un milieu, d’un écosystème innovant complet et compétitif
sur le plan international. La note tente de répondre à cette
problématique en s’appuyant sur quatre constats :
- L’innovation est un processus complexe, de nature fondamentalement systémique ;
- Un système
innovateur est un ensemble hétérogène d’entreprises, d’individus,
d’organisations de recherche, d’universités, de prestataires de
services, d’investisseurs et d’administrations. Les grands écosystèmes
innovateurs s’appuient sur des dynamiques vertueuses de fertilisation
croisée, d’attractivité croissante pour les entreprises, la recherche,
les individus. Ces systèmes se caractérisent par une surconcentration de
ressources ;
- La vitalité des
systèmes innovants est un enjeu national considérable. A titre
d’illustration, 21 % du PIB américain est aujourd’hui réalisé par des
entreprises ayant été financées par le capital-risque. Ce chiffre est
proche de zéro en France.
- Le système
universitaire et les laboratoires, le savoir et les détenteurs du
savoir, sont des acteurs clés dans un contexte de compétition
internationale sur l’innovation.
C’est sur ce système, et sur les équilibres qu’il requiert, qu’il convient donc de raisonner et de travailler.
Recommandations
L’écosystème innovant est, selon nous, au cœur du déficit français.
Il est, par essence, impossible à « fabriquer », il ne peut que
résulter d’un réseau de relations et de dépendances que ses acteurs
constituent au cours du temps. Tout surcroît d’intervention directe et
brutale de l’Etat en la matière serait peine perdue, voire destructeur.
Il est possible de poser quelques principes généraux d’une nouvelle politique de l’innovation, adaptée à la situation française :
- Une ambition de fond, transformatrice – et non une simple volonté « d’ajustement » ;
- Une politique de
long terme ; à ce titre, la stabilité fiscale, légale et règlementaire
est essentielle aux processus innovants dans la mesure où ces derniers
s’appuient principalement sur le capital humain, les réseaux informels
et les institutions ;
- Une approche
concentratrice: la France n’est pas d’une dimension économique
suffisante pour pouvoir concilier saupoudrage, aménagement du territoire
égalitaire, et taille critique internationale sur les grands sujets
innovants.
Partant de ces principes, les recommandations présentées concernent
à la fois l’enseignement supérieur, le financement de l’innovation, le
cadre fiscal et juridique, et les politiques de clusters et de pôles de
compétitivité.
Concernant les universités et la recherche, sont notamment abordés :
- La nécessité d’un
transfert massif de financement en direction du système d’enseignement
supérieur.Un tel transfert nous semble devoir être en part importante
supporté par le secteur privé ;
- La nécessité
d’accélérer et rénover les fusions et regroupements d’établissements, en
ciblant taille, multidisciplinarité, et lien recherche/formation et
l’émergence de 5 ou 6 pôles d’excellence à court-moyen terme ;
- La nécessité de renforcer très nettement le lien recherche-formation.
Concernant le financement de l’innovation, le capital-risque et les fonds d’investissements :
- De façon générale,
un objectif ambitieux mais réaliste pourrait être de faire de Paris LA
place du Private Equity en Europe. Le financement de l’innovation
pourrait y jouer un rôle important. Ceci implique une approche de ce
thème par une logique de « place », et donc une politique coordonnée
(cadre juridique, attractivité, ouverture…)
- Assurer la stabilité
des systèmes fiscaux et règlementaires dans le domaine du financement
en capital de l’innovation (éviter les interventions politiques
permanentes en matière de contraintes d’investissements, outils de long
terme et non de régulation conjoncturelle) ;
- Eviter que ces mêmes
outils fiscaux soient une source de déstabilisation de l’industrie du
financement en capital des entreprises innovantes françaises dans son
ensemble ;
- Favoriser
l’émergence de fonds technologiques de taille importante, face à un
ensemble français de plus en plus fragmenté et centré sur l’amorçage ;
- Favoriser
l’investissement dans les thématiques les plus complexes, fondamentales
en termes de maîtrise technologique, mais moins aisément finançables
pour des fonds d’investissements.
Concernant les pôles de compétitivité, la politique publique
semble globalement très inadaptée, même si certaines de ses composantes
sont à retenir. En substance, la politique actuelle semble davantage
procéder d’une variante de la politique d’aménagement du territoire,
associée à une approche très administrative. Nous suggérerions, entre
autres, de :
- Cibler une politique
de surconcentration et non de saupoudrage : l’échelle actuellement
retenue est trop restreinte et micro-régionale. Il conviendrait de
raisonner sur deux régions au plus, avec une ambition mondiale.
Ile-de-France élargie et Sud élargi seraient les candidats naturels ;
- Corriger la fragmentation importante des thématiques, qui semble contreproductive ;
- Supprimer autant que
possible l’échelon administratif du pôle et favoriser l’émergence des
groupes auto-constitués, sans participation publique trop directe.
Concernant la fiscalité, l’environnement juridique et les politiques de soutien à la R&D et à l’innovation, les
recommandations portent avant tout sur les objectifs de stabilité
fiscale et de sécurité juridique pour les entreprises, les investisseurs
et les individus. Les axes complémentaires comme un Small Business Act
visant à améliorer l’environnement économique et les relations entre
grands groupes et petites et moyennes sociétés innovantes pourrait jouer
un rôle important dans le développement vertueux de l’écosystème
innovant français.
Enfin, la création d’un Centre national de l’innovation est suggérée.
L’idée n’est pas de façonner un nouvel établissement bureaucratique,
mais de créer les conditions de possibilité d’une analyse critique et
permanente du système innovant via la collecte de données, le
benchmarking international, la mesure de performance ; l’objectif final
serait la contrôle et l’aide à la décision.
Note intégrale
L’objet de cette note, appuyée sur un rapport plus global sur
l’innovation, est de présenter la problématique de l’innovation en
France[1] ,
par un état des lieux, un exercice de comparaison internationale, et un
effort de qualification des enjeux, à notre sens considérables, de
cette thématique.
1 - Etat des lieux de l’innovation en France
1. 1 - L’insuffisance des données macro-économiques traditionnelles
Les données macro-économiques françaises portant sur la Recherche
et Développement (« R&D ») et l’innovation sont connues : la Dépense
Intérieure en Recherche et Développement (« DIRD ») rapportée au PIB y
était de 2 % en 2008, contre 2,3 % en moyenne dans l’OCDE. La France est
très en deçà de pays comme le Japon (3,4 %), ou les Etats-Unis (2,8 %)
et l’Allemagne (2,6 %). Plus inquiétant encore, la France fait partie
des très rares pays à avoir vu leur ratio de R&D diminuer sur 10
ans. Bien que moins conclusives, les statistiques liées à la production
de brevets sont tout aussi inquiétantes, avec des ratios deux et trois
fois inférieurs à l’Allemagne et au Japon.
La France a incontestablement pris un retard considérable depuis
une quarantaine d’années sur les sujets liés à l’innovation,
essentiellement parce que le pays a manqué l’émergence puis
« l’explosion » des nouvelles générations de hautes technologies. La
France n’est pas isolée en Europe dans ce domaine, mais sa situation
semble néanmoins particulièrement fragile.
Toutefois, ces indicateurs macro-économiques « traditionnels » nous
paraissent insuffisants pour permettre d’identifier les causes structurelles
du retard pris par la France en matière d’innovation. Il s’agit en
effet de poser la question des déterminants de cette situation d’un
point de vue micro-économique au travers d’une grille de lecture qui
doit, quant à elle, être systémique – c'est-à-dire du point de vue des
principaux agents de l’innovation et de la nature des relations entre
ces derniers.
1. 2 - La situation des principaux acteurs de l’innovation en France
1. 2. 1 - Les entreprises
En premier lieu, si l’on compare, le tissu d’entreprises fortement
innovantes, au sens de leurs dépenses de R&D, en France, en
Allemagne et aux Etats-Unis.il en ressort les éléments suivants :
· Pour les grandes entreprises innovantes
(ici, celles dont les dépenses de R&D étaient supérieures à 100
millions d’euros en 2009) : la R&D y est réalisée, dans le cas
américain, à plus de 70 % par des entreprises du secteur « High Tech »[2],
alors qu’en Allemagne c’est à 80 % le secteur « Industrie » qui est
producteur de R&D. La France est dans une situation intermédiaire
(57 % High Tech, 30 % Industrie) ;
· En corrélant par la suite « l’intensité d’innovation » (i.e. ratios : R&D / employé ou R&D / chiffre d’affaires) à la date de création des entreprises[3],
les résultats sont édifiants : la France ne produit plus de grandes
entreprises « innovantes » depuis 40 ans, si ce n’est par fusions et
rapprochements industriels. L’Allemagne est dans une situation
comparable qu’elle compense partiellement du fait de sa forte
spécialisation dans les industries à très fort niveau technique et très
haute valeur ajoutée. A l’autre extrémité du spectre, les Etats-Unis
sont désormais à l’origine de la quasi-totalité des grandes sociétés
innovantes du monde occidental dans le secteur « High Tech ».
· Une étude sur ces trois pays[4] démontre par ailleurs que :
i) plus les entreprises sont récentes, et particulièrement à partir des années 1970, plus leur intensité en R&D est forte ;
ii) cette corrélation est particulièrement forte pour les
entreprises américaines, les grandes entreprises françaises et
allemandes n’atteignant pas les strates élevées d’intensité en R&D ;
iii) le secteur High Tech est globalement beaucoup plus
intensif en R&D que l’Industrie (les autres secteurs étant
comparativement peu innovants) ;
iv) parmi les grandes entreprises créées depuis 1970, les grandes entreprises américaines représentent 85 % des dépenses de R&D[5] ;
v) enfin, il apparaît que cette tendance va en s’accélérant sur les dernières décennies (les entreprises américaines sont de plus en plus innovantes, a contrario des françaises).
· Les quatre dernières
décennies ont vu l’émergence de 3 entreprises allemandes, 4 entreprises
françaises et 82 entreprises américaines dont les dépenses de
R&D dépassent aujourd’hui 100 millions d’euros. Pour la France, ces
sociétés étaient collectivement responsables de moins de 1 milliard de
R&D en 2009 contre 43 milliards pour les sociétés américaines.
· La capitalisation boursière
cumulée (date 2009) des grandes entreprises des segments clés que sont
les technologies de l’information et les biotechs atteignait 1.006
milliards d’euros aux Etats-Unis contre 10 milliards en France… En
décembre 2010, la capitalisation boursière d’Amazon était 10 fois
supérieure à celle de PSA, et celle d’Apple 45 fois supérieure à celle
d’Alcatel-Lucentou de Thales.
En second lieu, dans le prolongement des observations précédentes,
nous avons étudié les grands ratios économiques d’un échantillon
d’entreprises sélectionnées parmi les « grands innovateurs nationaux »
français, allemands et nord-américains couvrant les principaux secteurs
innovants, à savoir : les secteurs de la High Tech (surreprésentés aux
Etats-Unis), des industries technologiques (Aéronautique et Défense) et
de l’automobile (secteur dominant en Allemagne et fortement représenté
en France)[6]. Il ressort de cette étude que :
· Le secteur High Tech américain présente des taux de croissance et de marge brute extrêmement élevés. Les grands innovateurs européens croissent quant à eux nettement plus lentement, ou déclinent.
· Le secteur High Tech
américain et l’industrie allemande ressortent comme de grands
contributeurs aux budgets nationaux en termes d’Impôt sur les Sociétés
(« IS »), au contraire des champions de l’innovation français comme
Renault, PSA ou Alcatel. A titre d’exemple, sur les trois dernières
années, l’IS cumulé de Google a été de 4,2 milliards d’euros contre 3,4
milliards d’euros pour Daimler. Ceci infirme l’idée souvent avancée
selon laquelle les groupes fortement technologiques seraient plus «
instables » : c’est le contraire qu’on observe, du moins pour les plus
grands et les « pure players », c'est-à-dire non issus de fusions
industrielles défensives. Ils présentent un profil de rentabilité
particulièrement favorable et apparemment durable, et paient beaucoup
d’impôts.
· Les groupes technologiques de
l’échantillon, surtout américains, sont extrêmement concentrés dans leur
pays siège en termes d’emplois (+ de 60 %, voire plus de 80 %). Leur
propension à être fortement globalisés ne signifie pas que leurs
employés le sont également. La délocalisation industrielle est bien
évidemment essentiellement le fait des groupes ayant de grandes unités
de production, mais il s’agit également d’une donnée fondamentale du
secteur High Tech : l’activité y est très concentrée près du siège, car
la R&D y joue un rôle essentiel.
1. 2. 2 - La recherche et l’enseignement supérieur
Une analyse d’ensemble des principales caractéristiques du système
d’études supérieures français, dans une perspective de comparaison
internationale, était évidemment impossible. Il nous semblait néanmoins
nécessaire d’aborder ce sujet du fait de son rôle déterminant dans le «
système innovateur » national[7]
d’une part, par la formation des étudiants tant dans les disciplines
scientifiques que de gestion, lesquelles constituent les viviers de
ressources humaines essentielles aux entreprises, investisseurs et
administrations jouant un rôle dans le système innovant et, d’autre
part, dans la recherche fondamentale et appliquée réalisée au sein des
universités et des écoles, et des laboratoires qui leurs sont liés.
Un constat s’impose : le système d’enseignement supérieur
français est dans une situation très difficile, en particulier au regard
des caractéristiques suivantes :
· Ses établissements, et les universités en particulier, ne sont pas reconnus sur le plan international.
Ils sont en-dessous du seuil critique par leur taille et leurs
ressources ; dans le cas des établissements d’excellence,
particulièrement importants en matière d’innovation, ils sont d’une
dimension très insuffisante et disposent de moyens négligeables en
comparaison internationale. Si sur le plan du nombre de doctorats
attribués par an, les quelques très grandes universités françaises
présentes dans le classement de Shanghai ont des caractéristiques
raisonnablement proches des leurs consœurs américaines, les grandes
écoles affichent elles un nombre bien plus faible de doctorants – l’ENS
Lyon,l’ENS Paris, Polytechnique, Centrale Paris et les Mines de Paris délivrant toutes moins de 100 doctorats par an.
· Les universités américaines,
en particulier les plus prestigieuses, emploient, en plus des
doctorants, un nombre considérable de post doctorants et d’effectifs de
recherche : les 20 premières universités américaines du classement
de Shanghai employaient en 2009 une moyenne de 1.100 post-doctorants par
établissement (5.000 pour Harvard). A titre de comparaison, l’UPMCen
emploie 420 dont 170 en propre (le solde sous tutelle du CNRS), et 400
pour l’Université de Strasbourg.Les grandes écoles sont quant à elles
encore moins outillées, d’au moins un ordre de grandeur (entre 50 et 120
post-doctorants).
· La situation américaine se caractérise par deux types d’établissements : les
grandes universités (publiques) de formation, où le poids de la
recherche est similaire à la France, et les grandes universités de
recherche, les plus prestigieuses, comme Harvard, Stanford, le MIT,
Caltech ou Yale, dont la capacité de recherche et de formation à la recherche est sans commune mesure.
En réalité, c’est le centre de gravité lui-même de ces universités qui
est bien plus proche de la recherche que dans le système français tel
qu’il est structuré aujourd’hui. C’est cette aptitude à cumuler un
impact considérable en termes de formation et de recherche (chercheurs à
proprement parler et formation doctorale) qui leur permet de jouer un
rôle central dans le système innovant nord-américain.
· Une force de frappe en matière de recherche très limitée au sein des grandes universités françaises. Les données de l’OMPI[8]
ne donnent aucune institution universitaire ou école française parmi
les 50 premiers déposants internationaux de brevets d’origine
universitaire[9] ; de façon similaire, le classement du journal Nature
révèle qu’aucune université française n’est présente parmi les 50
premiers contributeurs au journal, le CNRS étant lui-même (malgré son
caractère centralisé) en seconde position, derrière Harvard.
· Une très faible interdisciplinarité dans les grands établissements.
Il convient en particulier de relever que les ingénieurs, les
chercheurs et les étudiants en management ne fréquentent dans l’ensemble
pas les mêmes établissements ; le statut particulier des écoles
d’ingénieurs accentue encore cette situation.
· Les moyens financiers
déployés par la collectivité française (fonds d’origine privée et
publique) pour ses étudiants du supérieur sont 2,5 fois plus faibles
qu’aux Etats-Unis. L’écart est de surcroît grandissant, dans un
contexte de besoins de financement de plus en plus importants pour la
recherche, et de compétition internationale accrue pour la formation.
Par ailleurs, la capacité d’investissement des universités américaines
est considérable, notamment au travers de leurs « endowments » et
fondations. A titre d’exemple, même au lendemain de la crise de 2009,
les actifs détenus par Harvarddépassaient 26 milliards de dollars,
devant Yale (16 milliards) ou le MIT (8 milliards).
· Des structures d’essaimage et d’incubation très insuffisantes,
peu expérimentées, et des liens avec le privé encore très faibles. Ceci
est renforcé par des clivages culturels encore très forts entre le «
privé » et le « public », et le cloisonnement qui en résulte.
En conclusion, le système d’enseignement supérieur et de recherche
français semble extrêmement inadapté, pauvre, fragmenté et surtout
isolé, ce qui le rend très difficilement apte à jouer son rôle dans une
économie dominée par la concurrence internationale des systèmes
innovants.
2 - Réflexions sur la notion de « système innovant »
Afin de pouvoir envisager des propositions concrètes pour enrayer
le déclin de la France en matière d’innovation, il faut se pencher sur
les conditions dans lesquelles des entreprises innovantes High Tech si
dominantes à l’échelle planétaire ont pu émerger (aux Etats-Unis en
particulier) tout au long de ces quatre dernières décennies[10]. Il convient d’abord d’observer à quel point cette croissance remarquable et pérenne du secteur High Tech y est extrêmement
localisée, à l’échelle du territoire nord-américain, dans des régions
qui se distinguent par leur dynamique d'innovation (Silicon Valley,
région de Boston, etc.). Ces régions ont en commun avec leurs
équivalents mondiaux (Israël, région de Hong Kong/Shenzhen, Singapour…)
de présenter une forte concentration des acteurs et facteurs déterminants de l’innovation, à savoir :
· concentration croissante des activités de recherche et de développement ;
· concentration par la taille des
entreprises de ces régions, par leurs avantages concurrentiels et leur «
aptitude » au leadership mondial ;
· concentration des équipes, tant au niveau recherche et développement qu’en termes de savoir-faire de « management » ;
· concentration, très locale le
plus souvent, des moyens de financement de l’innovation (fonds
d’investissements, « corporate venture ») ;
· concentration des ressources universitaires et de laboratoires de recherche ;
· incidemment, ces formes de
concentration conduisent également à une concentration des opérations
financières (fusions-acquisitions) entre entreprises de ces régions, qui
renforcent encore ce cercle vertueux en permettant aux groupes
d’atteindre de plus en plus rapidement une taille critique, voire
dominante, sur leurs marchés.
De manière générale et par extrapolation, les approches
évolutionnistes fondées sur la notion clé de « système innovateur local »
nous paraissent ainsi les plus à même de fournir les outils d’analyse
nécessaires à la compréhension de l’innovation. L’innovation est en
effet le produit d’un milieu donné, voire d’une superposition de milieux
interdépendants. Les facteurs liés à la proximité (géographique et culturelle) y jouent un rôle considérable, car une grande partie des relations en jeu sont de nature informelle et désorganisée
(au sens d’une absence d’organisation systématique et préalable). Il
s’agit donc d’une lecture systémique de l’innovation, dans laquelle les
phénomènes de cercles vertueux et d’auto-renforcement expliquent
l’avance croissante et pérenne de certains milieux (et régions) par
rapport aux autres.
En somme, l’innovation est un processus à la fois collaboratif et
stochastique. Elle s’inscrit dans le temps. Dès lors, la performance
d’un milieu innovant donné se retrouve dans son aptitude à rendre ce
processus à la fois répétitif et durable. Du point de vue d’une
politique économique, il nous semble que c’est ici que réside la
problématique clef de l’innovation : comment assurer à la fois sa
production systématique et sa valorisation économique locale (synonyme
d’entreprises, de valeur ajoutée et d’emplois), c'est-à-dire comment
permettre l’émergence d’un milieu, d’un écosystème innovant complet et
compétitif sur le plan international ?
3 - Quelle politique de l’innovation pour la France ?
3. 1 - Quatre objectifs pour une politique de l’innovation à la française
La France a pris un retard considérable depuis une quarantaine
d’années sur les sujets liés à l’innovation, et sa situation est
aujourd’hui particulièrement fragile. Or, l’innovation est un domaine
particulièrement capitalistique, sur le plan financier mais plus encore
sur le plan du capital humain. L’aptitude à produire à intervalle régulier des entreprises comme Google, Intel, Cisco, Amgen, VMware
ou Microsoft, mais aussi l’univers des sociétés de taille
intermédiaire, très fortement innovantes et à croissance élevée, nous
semble de l’ordre d’un impératif de survie pour l’Europe et pour la
France ; ces groupes concentrent en effet une quantité rapidement
croissante de compétences, de technologies, d’informations et de valeur
ajoutée que leurs pendants français ne peuvent reproduire. Ils
ont ainsi un rôle d’entraînement essentiel pour leur environnement
(dynamisme économique, organisationnel, etc.) et contribuent à briser en
permanence les rentes de situation d’acteurs installés. Dans un
contexte de mobilité internationale croissante des compétences et de
concentration des flux économiques au sein de ces sociétés, la menace à
moyen et long terme nous paraît dès lors extrêmement importante.
Même si le constat est brutal, il nous semble que la France, et ses
pouvoirs publics en particulier, ont dépensé une énergie et des
ressources considérables dans une politique industrielle centrée sur
quelques « filières » et leurs grands groupes, afin de tenter d’asseoir
pour ces derniers une « masse critique » suffisante à l’échelle
internationale. Qu’il s’agisse des grandes fusions pilotées ou
encouragées par l’Etat, des privatisations, de la concentration des
financements publics, du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) ou des aides
diverses et variées à ces grandes entreprises ou grands projets, tous
ces choix incarnent une certaine approche de la politique économique
qu’il faut bien qualifier de « mécano industriel ». Les groupes se font
et se défont, essentiellement issus de structures très anciennes,
fusionnées ou accolées les unes aux autres, selon une lecture encore
largement planificatrice de l’économie et de l’innovation. Or, le
résultat des courses sur le terrain des entreprises, est, concernant
l’innovation, particulièrement pauvre… L’industrie française ne dispose
ni de la granularité industrielle allemande, concentrée sur des produits
à très forte valeur ajoutée, très techniques, ni de la profondeur
technologique américaine.
Les Etats-Unis sont très largement pris en exemple, principalement
parce qu’en matière de hautes technologies, la position américaine est
si dominante et résiliente qu’elle fait référence dans le monde entier.
Il nous semble que si nous devions retenir une caractéristique décrivant
la situation américaine, il s’agirait de la suivante : les secteurs de
hautes technologies se présentent comme un continuum extrêmement dense
de sociétés de toutes tailles, liées entre elles, partageant des
ressources humaines très mobiles ainsi que des moyens financiers, y
compris avec leurs partenaires clefs que sont les laboratoires et les
universités d’une part, les sources de financement, d’autre part. Cet écosystème est, selon nous, au cœur du déficit français. Il
est, par essence, impossible à « fabriquer », il ne peut que résulter
d’un réseau de relations et de dépendances que ses acteurs constituent
au cours du temps. Toute intervention directe et brutale de l’Etat en la
matière serait peine perdue, voire destructrice.
Dès lors, quels pourraient être les objectifs clefs d’une politique de l’innovation en France ?
· Faire émerger des pôles de recherche de taille internationale.
La capacité de recherche fondamentale reste forte en France mais la
concentration doit se poursuivre ; la taille des institutions de
recherche est un élément clé, mais elle doit s’accompagner d’une
augmentation très significative de leurs moyens financiers. Comparer
Harvard ou le MIT à la Sorbonne ou Polytechnique n’a aucun sens. Leurs
moyens, leurs ressources humaines et leur rayonnement sont sans commune
mesure.
· Rendre les principaux acteurs de l’innovation attractifs pour les individus (« attirer les talents »), financièrement notamment, en particulier dans la recherche et les entreprises technologiques.
· Organiser/faciliter les transferts entre la recherche, l’université et les entreprises : le sujet est récurrent, ancien, et a été largement abordé. Il nous semble qu’il revêt deux réalités concurrentes : i) organisationnelle :
ancrer durablement les relations entre la recherche, les universités
françaises et les entreprises sur le territoire paraît une question de
survie, et le moyen efficace pour conserver une partie de la valeur
créée sur le territoire ; ii) humaine : la dichotomie
public-privé est profondément ancrée dans la société française ; aux
yeux d’une grande partie de la société française, elle recouvre à la
fois des systèmes d’appartenance culturelle et de valeurs opposés. Cette
politique des « équipes de foot » (les bleus contre les rouges…) est
non seulement contre-productive mais destructrice si l’on souhaite
favoriser l’échange et la mobilité des individus.
· Favoriser l’émergence d’entreprises de moyenne et de grande taille, pérennes, dans le secteur High Tech :
- Les grands groupes
technologiques, notamment ceux ayant émergé dans les quarante dernières
années, sont des moteurs essentiels de l’innovation. Ces entreprises
sont des investisseurs massifs et l’essentiel de leurs compétences clefs
(management senior, R&D, marketing…) sont le plus souvent très
concentrées dans le pays siège, celui de leur création. Ces entreprises
sont donc un fort facteur de stabilité pour l’innovation dans leur pays
de création, voire pour leur région de création.
- Pour permettre à ces grands
groupes d’émerger, il est donc essentiel que les sociétés High Tech de
taille moyenne fassent durablement surface et en grand nombre. La
puissance du secteur technologique américain vient de ces milliers de
sociétés de 50 à 500 millions de dollars de chiffre d’affaires, cotées
ou non, dans une certaines mesure équivalentes au mittelstand
allemand dans le domaine industriel. Ce sont ces sociétés qui manquent
en France à court et moyen terme. La comparaison Euronext/Alternext avec
le NASDAQ est, à ce titre, consternante.
Tous ces objectifs, ajoutés les uns aux autres, peuvent susciter
l’angoisse, voire le renoncement. La tache est immense et peut paraître
impossible. Néanmoins, il nous semble qu’un travail de fond sur
certains paramètres clefs du « système » devrait permettre, sur le moyen
terme, de replacer la France dans une dynamique de rattrapage, voire de
leadership sur certains sujets.
L’horizon est le passage de stratégies purement défensives à une
dynamique vertueuse comme elle s’observe dans d’autres régions du
monde. La condition, comme nous l’avons déjà dit, est de ne pas céder,
de nouveau, aux tentations du « mécano industriel » et d’accepter que
l’innovation ne peut être produite ou planifiée, mais que le rôle d’une
politique de l’innovation est de s’assurer des conditions de possibilité
nécessaires à son émergence.
3. 2 - Recommandations
3. 2. 1 - Les principes généraux
Avant d’entrer dans les détails de quelques recommandations,
arrêtons-nous sur quelques principes généraux qui nous paraissent
essentiels à une politique de l’innovation en adéquation avec la
situation française :
· Une ambition de fond, transformatrice :
la situation française appelle une réforme fondamentale des
comportements et de modes d’intervention. De simples ajustements seront
inévitablement insuffisants : une rupture est nécessaire.
· Assurer la stabilité fiscale, légale et règlementaire :
de par sa nature et son organisation, l’innovation, plus encore que
d’autres sujets, est particulièrement sensible aux changements de règles
du jeu. Elle s’appuie essentiellement sur du capital humain, des
réseaux informels, des institutions en situation de concurrence
internationale extrême, tout cela dans un contexte d’incertitude
fondamentale.
· Une politique de long terme,
visant à faciliter l’émergence de collaborations continues entre les
grandes familles d’institutions impliquées dans l’écosystème.
· Une approche concentratrice :
la France n’est pas d’une dimension économique suffisante pour pouvoir
concilier saupoudrage, aménagement du territoire égalitaire, et taille
critique internationale sur les grands sujets innovants. L’innovation
nécessite des moyens de plus en plus importants, qu’ils soient
financiers ou humains. L’ambition de toute politique en la matière doit
donc être de concentrer autant de ressources que possible sur quelques
régions, réseaux, institutions et plus généralement « systèmes » de
pointe.
· « Faciliter l’émergence » en priorité et n’ « agir directement » qu’en dernier ressort. Nous
avons développé l’idée de système innovant dans le cadre de notre note
complète sur l’innovation : ces systèmes sont extrêmement complexes et
s’appuient sur des mécaniques subtiles ; toute intervention directe
risque dès lors d’être déstabilisatrice et contre-productive ;
l’intervention politique doit en priorité viser à stimuler, inciter et
faciliter.
· Une approche holistique : l’innovation est un ensemble ; toute intervention économique ou politique doit tenir compte de cette caractéristique.
Afin de prendre en compte cette dimension « système », une recommandation à formuler serait la création
d’un Centre national de l’innovation – entièrement indépendant et
piloté par des professionnels de l’innovation, de différents horizons.
L’idée n’est pas de créer un nouvel établissement administratif pour
des motifs d’affichage, mais plutôt d’assurer une mission qui semble
aussi essentielle que délaissée actuellement :
· La recherche via la collecte de données et l’analyse de performance en matière d’innovation : collecte d’indicateurs clefs sur le financement, la performance des entreprises innovantes, des laboratoires, de la recherche universitaire ; benchmarking international ; mesure de performance des politiques publiques en matière d’innovation.
· L’aide à la décision et le contrôle. Ce
centre, via un comité de pilotage, pourrait être saisi ou se saisir
de tout sujet qu’il estimerait afférent à l’innovation, afin de
prononcer un avis sur les conséquences éventuelles de la politique en
question. Sa mission serait de se prononcer sur la cohérence à moyen
et long terme des politiques mises en œuvre, que celles-ci concernent
la recherche, l’éducation, la fiscalité.
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3. 2. 2 - Les universités et la recherche
Nous avons retenus les objectifs suivants comme critiques à court terme : a) Comment associer la formation de qualité, reconnue sur le plan international, et une taille critique suffisante à l’échelle de l’établissement pour s’assurer une compétitivité internationale ? Et, b) Comment redévelopper le lien entre recherche et enseignement,
notamment dans le cadre d’établissements « d’élite », dans la mesure où
ce lien est essentiel au fonctionnement et à la fluidité du système ?
Les données de l’OCDE indiquent que 16 % des financements du
système d’études supérieures français sont apportés par le secteur
privé, contre 66 % aux Etats-Unis, 68 % au Japon, 50 % en Israël et 36 %
au Royaume-Uni. Si l’on considère maintenant cette variable en donnée
par tête, il en ressort que 11.000 USD sur les 25.000 USD de coût moyen
par étudiant aux Etats-Unis sont issus de financements publics, soit un montant équivalent à l’investissement moyen total par étudiant en France.
Sur le plan des ressources financières, comment envisager un rattrapage
sous les contraintes actuelles ? A l’évidence, aucune solution simple
n’existe. L’équation à résoudre est la suivante :
· Un transfert massif de financement en direction du système d’enseignement supérieur.
· Eviter le développement d’un système à plusieurs vitesses, les
populations aisées choisissant de former leurs enfants dans des
établissements coûteux ou à l’étranger. Il va de soi que la dichotomie
Université/Grandes écoles conduit elle-même à un système à deux
vitesses, ce mal étant considéré, avec une certaine hypocrisie, comme
nécessaire dans un contexte d’extrême dénuement du système
universitaire.
· Tout ceci dans un contexte de rétablissement des finances publiques et de poids des prélèvements obligatoires en France déjà dans la moyenne haute de l’OCDE.
Quelques orientations peuvent être avancées :
Accélérer les fusions et regroupements d’établissements, en ciblant taille, multidisciplinarité, et lien recherche/formation,
lequel est particulièrement rompu entre les sciences de l’ingénieur,
d’une part, et les disciplines scientifiques, d’autre part, ainsi
qu’avec le management.
· La stratégie doit viser à créer 5 ou 6 pôles d’excellence à court-moyen terme,
tout en favorisant leur association à d’autres ensembles
universitaires par le biais de collaborations. Ces pôles doivent être
concentrés dans de grandes régions innovantes, l’Île de France et le
Sud notamment. Ils bénéficieront de moyens financiers et humains
suffisants pour être compétitifs[11].
· Renforcer très nettement le lien recherche-formation.
Nous avons largement insisté sur ce point qui nous semble essentiel.
Les pôles universitaires doivent également être de très grands pôles
de recherche.
· L’interdisciplinarité est un élément clef :
les ingénieurs, chercheurs, managers doivent impérativement se
fréquenter pour travailler ensemble et assurer le « buissonnement »
nécessaire à l’innovation.
· A terme, les écoles et
les universités doivent à notre sens inévitablement s’intégrer, mais
en veillant à ne pas détruire ce qui fonctionne, quitte très probablement à garder une logique d’écoles, très sélectives, s’insérant dans des établissements plus grands.
· Dans son principe, il nous semble que l’accroissement de l’autonomie des universités est une voie inévitable, dans un contexte de concurrence accrue entre établissements ; elle doit néanmoins être corrigée dans sa mise en œuvre.
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Des réformes ont été engagées en ce sens par le gouvernement
précédent, avec peu de réussite et au prix de choix contestables. Il
reste néanmoins vrai que le triptyque « politique d’incitations -
accroissement des moyens - autonomie » est au cœur d’une dynamique
d’excellence. La quasi-totalité des pays européens se sont d’ailleurs
engagés dans cette voie. Pour mémoire, les Etats-Unis consacrent 2,9 %
de leur PIB à l’enseignement supérieur, contre 1,4 % pour l’Union
Européenne.
· Transfert massif de ressources en direction du système d’études supérieures. Un tel transfertnous semble devoir être en partie importante supporté par le secteur privé :
- Diversification des ressources des universités, notamment par la formation continue ;
- Développement agressif des stratégies de fondations d’universités, y compris de communication publique sur le sujet et les enjeux, à destination des anciens élèves et entreprises ;
- Développement des collaborations et contrats de recherche entre l’université et les entreprises.
- Enfin, les frais de scolarité peuvent être un axe légitime de financement ; des
réformes en la matière semblent possibles et compatibles avec une
approche socialement égalitaire, notamment via un système de
contre-garantie publique d’emprunts étudiants.
· Continuer à favoriser l’essaimage, l’incubation et la mobilité des individus :
- Réformer la politique de brevet/licence
et prises de participation du CNRS, des autres grands laboratoires et
instituts de recherche et des universités. Le travail du CEA sur ce
sujet est intéressant. La recherche de ces établissements et
organismes est évidemment un patrimoine considérable.
- Encourager la mobilité des hommes,
qu’il s’agisse des chercheurs en poste par leur insertion dans le
monde de l’entreprise (conseils d’administrations d’entreprises
innovantes, etc.).
· Développer les filières
d'enseignement dans le domaine du développement web, le « cloud », et
plus généralement le logiciel, notamment dans les formations
d’excellence.
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3. 2. 3 - Le financement de l’innovation – capital risque et fonds d’investissements
Sur le volet financement, le territoire français peut paraître
relativement bien couvert sur les thématiques d’innovation, à la fois
par les outils de subventionnement de type Oséo, par les fonds
d’investissements bénéficiant ou non d’avantages fiscaux accordés aux
contribuables (ISF, FCPI…), et enfin par les fonds d’investissements
européens couvrant le marché français. Néanmoins, il nous semble que
plusieurs axes de réforme doivent être explorés :
- L’ambition générale
De façon générale, il nous semble qu’un objectif ambitieux mais réaliste pourrait être de faire de Paris LA place du Private Equity (capital investissement) en Europe.
Le financement de l’innovation pourrait jouer un rôle important sur
ce sujet. Paris a depuis longtemps perdu toute chance de ravir à
Londres un rôle international réel en matière de marchés cotés ; sur
le sujet du Private Equity en revanche, Paris dispose
d’avantages réels et pourrait encore prétendre s’imposer comme une
place de référence en Europe. Ceci implique une approche par une logique
de « place », et donc une politique coordonnée en matière :
· de règlementation juridique pour les fonds d’investissements ;
· de stimulation des implantations des fonds d’investissements d’origine étrangère et d’équipes internationales.
Les effets d’échelles et externalités positives sont critiques en
matière d’investissement technologique, le capital humain étant LA
variable essentielle du fonctionnement du système ;
· de stimulation des collaborations avec
les grandes universités, laboratoires, centres de recherche
nationaux, mais aussi avec les grands groupes technologiques implantés
en France.
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- Les fonds d’investissements
· Assurer la stabilité des systèmes fiscaux et règlementaires dans le domaine du financement en capital de l’innovation. A ce titre, il est nécessaire :
- d’éviter les interventions politiques permanentes en matière de contraintes d’investissements.
En particulier, les règles auxquelles sont assujettis la collecte et
l’investissement des véhicules fiscaux (ISF, FCPI) ne devraient pas
être soumises aux évolutions politiques de court terme ; ce sont des
outils de long terme et non de régulation conjoncturelle ;
- d’éviter que ces mêmes outils
fiscaux soient une source de déstabilisation de l’industrie du
financement en capital des entreprises innovantes françaises dans son
ensemble. Pour cela, une solution pourrait être de s’assurer que
les fonds collectés par le truchement de ces outils fiscaux soient
accessibles à tous les fonds centrés sur l’innovation, selon un
mécanisme plus proche des fonds de fonds.
· Favoriser l’émergence de fonds technologiques de taille importante,
face à un ensemble français de plus en plus fragmenté et centré sur
l’amorçage. Ces fonds sont essentiels et devront inévitablement avoir
un horizon d’investissement européen, pour des questions de profondeur
de marché et d’expérience.
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- …et les thématiques clefs
· Favoriser l’investissement dans les thématiques les plus complexes, fondamentales en termes de maîtrise technologique,
mais actuellement moins aisément finançables pour des fonds
d’investissements traditionnels – ainsi, à titre d’exemples, le
logiciel et le « cloud », les télécom, les biotechnologies. On note
dans ces domaines un retrait notable des investissements d’amorçage.
· L’investissement direct
en capital par les fonds liés à l’Etat dans certains de ces domaines,
en amorçage comme en développement. Dans certaines conditions,
notamment d’autonomie et de gouvernance des véhicules d’investissement
envisagés (jamais réunies à ce jour), il nous semblerait intéressant
que l’Etat joue un rôle d’investisseur direct pour : i) les sujets
technologiquement critiques ; ii) la création et l’amorçage – voir à
ce titre l’exemple allemand du « High-Tech Gründerfonds».
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En dernier lieu, il nous semble important d’insister sur le fait que l’écosystème
de l’investissement d’innovation est un ensemble fragile, constitué
pour l’essentiel de petites équipes, dont la valeur et la pertinence se
construisent dans la durée. Les politiques mises en œuvre doivent
donc toujours viser la stabilité et le long terme (qu’il s’agisse de
stimulation financière, de systèmes fiscaux ou de réformes juridiques)
et veiller à ne pas introduire une forme ou une autre de distorsion de
concurrence trop importante ; elles doivent avoir pour objectif
essentiel de favoriser l’émulation et le développement d’une communauté
d’individus et de moyens, dont la fonction essentielle est de financer,
de favoriser, d’orienter et de participer au développement de liens
aussi intenses que possibles entre les divers acteurs et institutions du
système.
3. 2. 4 - Pôles de compétitivité
La politique des pôles de compétitivité est récente. Elle nous
semble globalement très inadaptée, malgré certains éléments à retenir.
En substance, la politique actuelle semble davantage procéder d’une
nouvelle variante de la politique d’aménagement du territoire, associée à
une volonté d’organiser administrativement la collaboration entre les
grands groupes industriels.
Nous suggérons de :
· Cibler une politique de surconcentration et non de saupoudrage et de décentralisation :
l’échelle actuellement retenue est trop restreinte et
micro-régionale. Il conviendrait des raisonner sur deux régions pour
commencer, mais de dimension importante et d’ambition clairement
mondiale. A titre d’exemple :
- Ile-de-France très élargie (intégrant Nord de l’île de France entre autres) ;
- Sud élargi autour de Toulouse/Marseille ou de la région Lyon/Grenoble.
· La fragmentation importante des thématiques semble contraire à la tendance à l’interdisciplinarité
et à la fertilisation croisée de l’innovation. Il faut au contraire
garder des orientations très larges, donc souples, pour ces ensembles.
· Supprimer autant que possible l’échelon administratif du pôle
et favoriser l’émergence des groupes auto-constitués, sans
participation publique trop directe, mais impliquant les acteurs les
plus pertinents (universités, entreprises, laboratoires…).
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Le système des clusters est un élément essentiel de toute
politique de l’innovation ; son importance est d’ailleurs croissante.
Mais cette politique ne saurait être envisagée efficacement qu’à une
échelle massive, capable d’impliquer et d’intégrer tous les acteurs du
système.
3. 2. 5 - Fiscalité, environnement juridique et politiques de soutien à la R&D et à l’innovation
Quelques grands principes peuvent être posés :
· Stabilité juridique et fiscale :
- Assurer la stabilité juridique et fiscale,
pour les acteurs les plus fragiles et/ou les plus pérennes du système
que sont respectivement les entreprises en création et les fonds
d’investissement.
- Garder à l’esprit la situation des
jeunes sociétés, dont les conditions de fonctionnement sont
lourdement affectées par les réformes souvent destinées aux grands
groupes (CIR, Stock-options…).
· Poursuivre la stimulation de la création d’entreprises :
- Poursuivre une politique
d’encouragement au sein de l’université et des grands groupes, avec
simplification administrative à destination des créateurs
d’entreprises et des chercheurs quittant l’Université.
- Assurer la stabilité des politiques et ne pas toujours s’évertuer à supprimer les systèmes en place.
· Subvention et réductions de charges :
la lisibilité des dispositifs de type JEI et CIR est à améliorer et à
étudier de manière approfondie, mais les deux systèmes sont en place
et utilisés. Il semble en particulier important que l’élargissement de
l’assiette du CIR qui est intervenue soit étudiée et ne devienne pas
une source de pénalisation à terme des entreprises innovantes, dès
lors que ce dispositif deviendrait soudainement trop coûteux pour les
pouvoirs publics. Il conviendrait sans doute de trouver les critères
permettant de focaliser le dispositif du CIR sur les entreprises en
croissance et réellement innovantes. Les moyens de ces objectifs restent
à déterminer et mériteront une analyse approfondie des effets du
système actuel. En tout état de cause, le CIR étant un dispositif
important, une réforme en la matière ne doit pas être trop rapide
et/ou démagogique, son impact pouvant se révéler important.
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3. 2. 6 - Small business act
Pour conclure, la mise en place d’un « small business act » à la
française, donc l’objectif serait d’améliorer l’environnement
économique, juridique et fiscal global dans lequel les petites
entreprises évoluent pourrait se révéler d’une grande importance pour le
secteur innovant dans son ensemble.
Les modalités d’une telle réforme nécessiteraient un travail
approfondi. Elle doit viser à améliorer les rapports entre les grands
groupes et les jeunes sociétés innovantes en poussant les premiers à :
· Favoriser, à l’aide d’une
démarche volontariste si ce n’est systématique, les jeunes sociétés en
tant que fournisseurs de technologies ;
· Adapter leurs cycles de décisions,
en les accélérant, afin de prendre en compte l’horizon temps de ces
fournisseurs potentiellement aussi importants que fragiles à court
terme ;
· S’efforcer de ne pas étrangler ces sociétés par leurs conditions financières ;
· Favoriser l’essaimage, qu’il s’agisse d’équipes ou de technologies ;
· Développer des capacités d’investissement en capital, de type « corporate venture » ;
· Développer leur politique d’acquisitions à destination des sociétés technologiques,
françaises et européennes notamment, afin de contribuer à soutenir le
cycle de financement dans son ensemble, mais aussi d’accéder à des
technologies qui risqueraient de leur échapper, voire de disparaître,
dans le cas contraire.
Plus généralement, sur ce chapitre des relations grands groupes /
jeunes sociétés, il importe que les premiers s’engagent davantage dans
une logique d’écosystème technologique, en prenant conscience que leur
rôle consiste également à entretenir, favoriser et développer cet
écosystème, dans la mesure où ils seront les premiers à en bénéficier
sur le moyen et le long terme.
[1] Pour une définition complète de ce que nous qualifions d’innovation, se référer à la note complète (Ibid.)
[2] Principalement les secteurs pharmaceutique, informatique, aérospatial, télécommunications, électronique, Web.
[3]
La date de création a été retraitée dans le cas des créations
« artificielles » comme lors de fusions ou de privatisations pour
prendre en compte la date de première création de l’entreprise.
[4] France, Allemagne, USA.
[5] Base France+Allemagne+Etats-Unis.
[6] Nous avons retenu 16 entreprises (entre parenthèses, classement national de dépense R&D) : USA : Microsoft (1), Pfizer (2), Intel (6), Amgen (16), Google (17), Qualcomm (20), Amazon.com (29), Apple (31) ; France
: Sanofi-Aventis (1), EADS (2), Alcatel-Lucent (3), Peugeot-PSA (4),
Renault (5), France Telecom (8), Thales (10), Gemalto (38) ; Allemagne : Volkswagen (1), Siemens (2), Daimler (3), SAP (8).
[7] Voir section 2 ci-dessous.
[8] Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle
[9]
Le CNRS concentre une grande partie des dépôts de brevets français et a
déposé 204 demandes de brevets PCT en 2010, à comparer aux 1.200
demandes déposées par les 10 premiers déposants universitaires
américains.
[10] Elles sont nombreuses : ce sont Google, Intel, Cisco, Amgen, VMware, Facebook ou Microsoft, par exemple.
[11] Une référence intéressante sur cette thématique est la réforme allemande des Eliteuniversitäten (programme
débuté en 2006). L’initiative vise à transformer ces universités en
pôles de recherche d'envergure internationale. A cet effet, elles sont
dotées de fonds pour le développement de « concepts d'avenir », qui sont
des projets de recherche s'inscrivant dans le long terme. Rappelons
que, contrairement à la situation française, le principe d’universités
et d’écoles d’élites était jusque là, depuis la Seconde Guerre mondiale,
catégoriquement refusé par le système d’enseignement allemand.
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