mardi 12 juillet 2011

E-commerce : comment les maisons de luxe réussissent-elles leur virage digital ?

LA TRIBUNE DE XAVIER TORMES

L'AUTEURXAVIER TORMESDirecteur de création, FullSix
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E-commerce : comment les maisons de luxe réussissent-elles leur virage digital ?
La question des rapports entre le luxe et le digital se pose depuis les origines de leur union et cette liaison est apparue comme dangereuse aux yeux de beaucoup. Pourtant, les grandes maisons se sont bien développées sur la sphère internet.
(06/06/2011)
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Il est vrai que les maisons de luxe ont abordé le terrain du e-commerce avec une prudence certaine. Hésitantes au départ, elles ont souvent reproduit les pratiques des marques non premium sans faire preuve de réelle inventivité. Dès lors, l'usage qu'elles en ont fait n'a pas été à la hauteur des standards d'excellence qu'elles avait elles mêmes édicté, poussant la sagesse jusqu'à rester assez loin des best practices des ténors du secteur e-business... La conception de la boutique digitale conçue comme une expérience «luxe» peine aujourd'hui encore à éclore. Où se situe donc le problème ?
La difficulté réside d'une part dans l'extrême ritualisation de l'acte de vente dans le luxe. L'expérience de l'acheteur en boutique est de très haut niveau : de l'accueil à l'évocation de l'histoire de la maison, en passant par la magie sensorielle du toucher d'un cuir, de son parfum, du poids d'une pièce horlogère... C'est un véritable product telling multisensoriel qui s'orchestre en ces lieux. La difficulté à le transposer a naturellement conduit les enseignes du luxe à une certaine réserve envers le digital. Pourtant l'enjeu est double pour celles-ci. Le premier est de reprendre leur place sur le terrain du e-commerce où d'autres acteurs se sont d'ores et déjà positionnés, commercialisant leurs produits. Or ces ambassadeurs auto-déclarés ne se sont pas toujours montrés très inspirés, et leur pratique peut dès lors constituer un danger en termes d'image. Aujourd'hui il est primordial pour ces grandes maisons de répondre aux demandes croissantes des consommateurs de tous horizons, frustrés de ne pas pouvoir accéder par le médium digital à l'excellence de l'expérience indissociable de ces marques.
Le second enjeu est de proposer aux internautes une expérience d'achat où le rituel reprendrait sa place. Pour combler cette attente, il faut créer un véritable scénario de vente, mêlant histoire et savoir-faire et proposant des visualisations high tech. Un des freins réside dans la difficulté à se projeter dans le produit, or pour passer du e-shopping au feel-shopping. des solutions existent - de la vidéo 360 live à la visualisation dynamique en relief ; les possibilités offertes par de nouvelles technologies sont prometteuses.
Il s'agit également de créer des services totalement immersifs, ultra-attentionnés et innovants - une véritable conciergerie digitale, car le service est lui aussi une notion clé dans la définition de l'expérience luxe. L'idée est que chaque maison recrée sa tradition sur le terrain du digital. Des maisons comme Vuitton proposent la personnalisation online des bagages «mon monogramme». L'interface est séduisante, on peut la partager avec ses amis, et finalement cela perpétue l'ADN de la marque en le digitalisant. C'est là, à mon sens, un exemple parfait de réussite en la matière. De même, le célèbre malletier parisien propose Vuitton Amble, qui renouvelle le city guide initié par la marque en 1998, en le rendant contemporain car participatif et social. De son côté, la maison Hermès pour sa collection de cravate, offre la possibilité d'être livré en trois heures, mariant avec élégance attention et efficacité commerciale.
Si des initiatives existent, on constate cependant que la création de services réellement innovants réclame de repenser les process afin d'offrir sur le digital des expériences uniques à des cibles habituées à un accueil et un service attentionnés dans le cadre des boutiques. N'oublions pas qu'un corner digital luxe constitue une solution idéale pour familiariser les consommateurs à la marque, pour les informer sur les produits, leur histoire et leurs secrets de fabrication. C'est cette culture maison qui pourra rendre la marque plus proche de l'internaute et lui permettra par la suite de franchir le seuil des boutiques physiques avec moins de réserve. Il s'agit là d'une manière de convaincre une nouvelle clientèle, sans déstabiliser les fidèles de la marque.
Pour finir j'évoquerai les trois grandes révolutions qui se sont accomplies et qui bouleversent la communication numérique des maisons de luxe.
- La révolution digital-mobile, se situe dans un domaine dans lequel la clientèle du luxe, particulièrement nomade, est bien équipée. Les tablettes ne sont pas en reste - elles sont d'ailleurs trop souvent pensées comme outil des moments nomades de la vie, alors qu'on surfe volontiers «léger» sur un i-Pad depuis son sofa... Or cette inclinaison pour le mobile demande aux marques de repenser l'expérience digitale pour la rendre compatible avec ces plateformes. Elles sont donc amenées à repenser les plateformes digitales pour les rendre compatibles avec ces nouveaux modes de consommation, renonçant au flash, alors qu'elles en usaient jusqu'alors sans retenue. Mais être mobile-compatible est devenu totalement incontournable pour une marque qui veut rester en phase avec la réalité de ses consommateurs.
- La révolution social-média. Les réseaux sont devenus les épicentres de notre vie digitale, et les marques de luxe, qui sont souvent considérées par leurs fans comme des stars à part entière, y trouvent naturellement beaucoup «d'amis». Même si leur nombre de fans peut paraître faible en regard des communautés qui s'amassent auprès des ténors de la grande consommation, j'ai le sentiment que la qualité des initiatives imaginées par les maisons de luxe (du court métrage en diffusion exclusive aux défilés live 360) appelle fortement au partage. Cette « shareability » est un indice qualitatif à considérer dans notre analyse pour que le luxe reste sélectif dans sa cible. En Chine, par exemple, on peut constater le succès de P1.CN, premier réseau social luxe. Ses membres sont choisis par des chasseurs P1, un club très fermé dont le modèle n'est pas lié à la quantité de membres acquis, mais à la qualité de leur pouvoir d'achat.
Le social-commerce est aussi une tendance en forte progression et il est à considérer sérieusement dans ce contexte. L'achat de produits de certaines marques de luxe et du premium restant un ego-trip à part entière, l'envie de le partager peut-être forte. L'écueil pourrait toutefois être de promouvoir une prolifération de « bling-link » qui serait préjudiciable au sentiment d'exclusivité légitimement recherché dans ces marques.
- La révolution digital-instore enfin, car on l'oublie souvent, mais le digital peut avoir du sens au coeur même des boutiques. De l'holoscreen créant des vitrines tactiles à effet holographique, à la kinect pour les expériences de street motion, en passant par l'ipad qui peut offrir un catalogue raisonné venant compléter une démonstration et la possibilité de découvrir des références à tirage limité voire unique, le terrain d'expérimentation du instore est naissant et immense. C'est l'occasion aussi d'affirmer sa modernité par le biais d'expériences inédites.

On le constate, l'e-commerce luxe revêt bien plus d'opportunités à saisir que de risques à affronter. Le luxe est attendu sur ce terrain par les consommateurs, qui apprécient les rituels de ventes des grandes maisons (l'appât du prix bas n'étant pas la priorité de tous...), et qui se trouvent, en grande majorité, livrés à des circuits de ventes aux pratiques peu inspirantes, voire potentiellement pourvoyeuses de contrefaçons.
L'e-commerce luxe reste à inventer, c'est un sujet autant commercial que créatif. Il revient à ses marques de créer leur tradition du commerce en digital, de ré-enchanter par leur créativité le « tunnel d'achat » (une dénomination, héritée des origines du web, qui en dit long sur l'état d'esprit qui a présidé à sa conception...). A elles d'imposer un e-RITUEL au monde souvent sans âme du e-COMMERCE, car en luxe le moment de l'achat doit rester une véritable expérience de marque.
Xavier Tormes

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